Je veux savoir, montre-les-moi,
Ces étrangers qui seraient faits comme moi
« Zep ? Ma chérie, descends voir maman ! » Je soupire d’agacement et roule des yeux avant de me redresser et d’enfiler mon gilet en laine. Comme à mon habitude je claque la porte de ma chambre et me laisse glisser sur la rampe des escaliers.
« Qu’est-ce qu’il y a ? Pour une fois que j’ai rangé ma chambre ! » Dis-je en souriant. Ma mère s’autorise un petit rire, dessinant un sourire amusé sur son visage pâle. Un visage rongé par la maladie, par le cancer. Mon regard s’attarde sur la perruque blonde qu’elle porte, un carré plongeant qui lui va à merveille. Alors que je prends place en face d’elle autour de la table basse du salon, mon père passe la porte une bière à la main. Il s’installe auprès de ma mère et long silence s’installe entre nous. Je n’aime pas ces silences, ces douloureux silences annonçant une mauvaise nouvelle. Mes yeux se ferment et je serre les poings involontairement. Je n'ai pas envie de l'entendre. Pas encore. La dernière fois c'était pour m'annoncer qu'il ne restait que quelques mois à vivre à ma mère. Quelques mois ! Rien que d'y penser, mon coeur se serre. Ma mère toussote et pose sa main sur l'avant bras de mon père.
« John, commences sil-te-plais. » Je plonge mon regard dans les yeux de mon père, ses yeux infiniment bleus.
« Ma chérie, je te demande de ne pas nous interrompre. De nous laisser aller jusqu'au bout. Nous... nous répondrons à tes questions, ne t'en fais pas. » Mes sourcils se froncent, je ne comprends pas de quoi il veut parler.
« Il y a maintenant dix-huit ans, une femme dénommée Bérénice, comme ton second prénom, à séjourner dans un motel de la ville d'Édimbourg en Écosse. La seule chose que nous savons d'elle, son nom, était écrit sur le registre du motel. Un jour, le trente-et-un juillet 1991, elle accoucha seule dans sa chambre... » Je reste bouche-bée. Ce n'est pas possible...
« C'est la gérante du motel qui la trouva agonisante sur son lit de mort, avec au creux de ses bras, un nouveau-né. » Mon père se tait, attendant une réaction de ma part. Mais je n'arrive pas à parler, les mots restant coincés dans ma gorge.
« Tu as compris qui était cet enfant... Je sais que tu nous en veux de ne pas te l'avoir dit plus tôt, ou de te l'avoir dit, mais je voulais que tu saches avant de te quitter. Je ne pouvais pas partir sans te l'avoir dit. » Elle se met à pleurer contre l'épaule de mon père et des larmes coulent silencieusement le long de mon visage. Sans un mot je me lève et monte dans ma chambre.
« Chéri, tu crois qu’on à été trop brusques avec elle ? » « J’en sais rien Marie, à vrai dire je suis perdu… » Tu trouveras dans ton long voyage
Les réponses que tu cherchais
J'ai honte. Terriblement honte de moi. Honte d'être assise là, contre un mur de la salle d'attente de l'hôpital, les yeux fermés, les lèvres serrées, la tête basse. Honte d'être là seulement maintenant, honte d'être partie sans rien dire. Je relève la tête vers la porte 225, la porte de sa chambre. Elle vient de mourir, elle vient de partir. Je ne lui ai pas dis au revoir, je n'étais pas là pour la soutenir. Mon coeur se serre à cette pensée. Je suis partie la nuit suivant leurs révélations, j'avais l'impression d'avoir été trahie. J'ai pris un avion pour l'Ecosse, pour Edimbourg, après tout c'est là-bas que je suis née. Une fois là-bas, j'ai pleuré. Longtemps. Assise à une table au fond d'un petit bar débordant d'alcooliques agrippés à leurs bières et verres de whisky, j'ai pleuré. Pathétique quand on y pense. Et une fois que mon corps fut vidé de toutes ses larmes, une fois je pus me relever et affronter le regard plein de pitié de la serveuse, je partis. J'ai fais tous les motels, hôtels et gîtes de la ville. Tous sans exception. A chaque fois, je m'arrêtais et demandais a voir la patronne de l'établissement. Mais aucune ne put se souvenir de ma défunte mère. Sauf une. Je crois qu'on ne peut pas trouver aussi miteux que le motel qui lui appartenait, mais c'était bien un des moins chers. Je me souviendrais toujours de ce qu'elle m'a dit ce soir là alors que je tombais littéralement de fatigue.
« Il pleuvait ce jour-là. J'm'en souviendrais toute ma vie. Le ciel était noir et les éclairs étincelaient dans la nuit. Comme un présage de mauvaise augure. » Comme pour annoncer ma venue.
« J'voudrais pas vous blesser ou quoi, ma jolie. Mais il y a du bonheur dans vot' malheur, avec elle vous n'auriez pas eu une enfance heureuse. Elle était louche. Belle et captivante, mais louche. » J'avais passé la nuit dans la chambre où je suis née puis j'étais revenue. Ici, chez moi. J'étais revenue trop tard. J'arrivais et elle partait.
« Zep, mon coeur... » Je relève les yeux vers mon père et me jette dans ses bras puissants.
« Oh papa ! Papa ! Je m'en veux tellement si tu savais... » Je me sens si bien contre son torse, à ma place.
« Elle ne t'en jamais voulue d'être partie. On a compris que tu avais besoin d'aller là-bas. Elle t'aimait plus que quiconque, tu étais sa fille envers et contre tous. » Je me laisse aller au creux de son cou, ne retenant pas mes larmes. Son étreinte se resserre autour de mon corps secoué par les sanglots.
« Et tu es ma fille, Zeppelyn. Je t'aime ma princesse. » Moi aussi papa, si tu savais combien je vous aime tous les deux.
Les mots ne sèchent pas les pleurs
Les mots ne réparent pas les coeurs
Le rêve s'endort mais pas l'espoir
« Zeppelyn. » « Ne m'appelle pas par mon prénom Kostas, ça m'écoeure. » Je lui lance un sourire amusé auquel il ne répond pas. Peu importe, de toute façon j'ai cours dans une dizaine de minutes. Je soupire à l'idée de retrouver mon professeur d'histoire de l'art. Lui qui me trouve si parfaite, me couvrant de compliments tels qu'attentive, sage, appliquée, cultivée, motivée par l'envie d'apprendre. Il paraîtrait même que je fasse la fierté de sa spécialité. Je sûre qu'il n'imagine pas à quel point il se leurre, ne voyant de moi que ce que je veux bien lui montrer. L'élève modèle. Bien-sur, la plupart des gens se demandent pourquoi j'ai été absente durant quelques mois, mais je m'en contre-fiche. En vérité, je serais plutôt le cliché de la fille dégoutée par l'amour couchant à droite à gauche, faisant la tournée des bars et oubliant ses problèmes avec la drogue. Le seul détail clochant est que je ne suis pas dégoutée par l’amour, du moins je m’en protège. Mais là n’est pas la question. La question c’est pourquoi je n’arrive pas à tourner la page ? Pourquoi la nuit je me réveille tremblante avec le visage de ma mère agonisante devant les yeux ? Pourquoi les mots de mon père ne m’apaisent-ils pas ? Je ferme les yeux, inspire profondément et pousse les portes de l’amphithéâtre avant de rejoindre ma place habituelle.
« J’ai la coke, parfait pour ce soir. Et c’est bien pour aujourd’hui la dissertation ? » C’est partit pour un tour.
On dit que toutes les filles rêvent de princes charmants, de ciels perpétuellement bleus, d’idylles éternelles. Je ne crois pas que ce soit vrai. Ce n’est pas ce dont je rêve moi. Je n’ai jamais été amoureuse mais s’il y a une chose que j’ai appris, c’est que l’amour fait mal. Et ce n’est pas un hasard, la passion vient du latin patior signifiant souffrir. Et je ne veux pas souffrir. Je ne veux pas aimer car la séparation est d’une douleur inouïe, une douleur d’ont on ne guérit jamais. Je le sais car j’entends mon père pleurer ma mère, pleurer le vide à l’intérieur de lui-même. Je ne veux dépendre de personne, et l’amour c’est cela.